Lecture du saint Évangile selon saint Luc : (Luc 21,25-32)
1. Très chers frères, le Seigneur, notre Rédempteur, désirant nous trouver prêts, déclare quels malheurs accompagneront le monde sur sa fin, pour nous détourner de l'amour de ce monde. Il fait connaître quelles grandes secousses précéderont l'approche de la fin du monde; ainsi puisque nous ne voulons pas craindre Dieu dans la tranquillité, broyés, nous craindrons l'approche de son jugement. Un peu avant ce passage du saint évangile, que vous venez d'entendre, le Seigneur a mis : «Les peuples se dresseront contre les peuples, les royaumes contre les royaumes et il y aura dans diverses régions de grands tremblements de terre, des épidémies et des famines.» (Luc 21,18) Quelques phrases après, Il ajoute ce que vous avez entendu précédemment : «Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles et sur la terre une anxiété des peuples inquiets du fracas de la mer et des flots.» Assurément de tout cela nous voyons déjà des réalisations, nous en redoutons d'autres dans un proche avenir. En effet que des nations se dressent contre des nations, et que l'anxiété s'installe sur la terre, déjà nous le constatons plus dans notre temps que nous ne le lisons dans les livres d 'histoire . Vous savez que nous entendons souvent dire d'autres parties du monde qu'un tremblement de terre a ruiné des villes innombrables. Sans cesse nous souffrons d'épidémies. À la vérité des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, jusqu'à présent nous ne voyons rien du tout, mais que tout cela soit peu éloigné, nous l'avons déjà pressenti d'après le changement même de l'air. Avant que l'Italie ne fut livrée aux coups des barbares, nous avions vu dans le ciel des lames de feu, le sang flamboyant lui-même qui coula du genre humain. Mais le désordre de la mer et des flots n'a pas encore commencé. Cependant puisque beaucoup de prophéties sont déjà réalisées, il n'y a pas de doute que se produiront aussi le petit nombre de celles qui restent, car la certitude de l'avenir se conclut des réalités du passé.
2. Tout cela, frères très chers, nous vous le disons pour la raison suivante : que vos esprits soient vigilants, qu'ils ne s'engourdissent pas dans la sécurité, qu'ils ne languissent pas dans l'ignorance, mais que toujours la crainte les inquiète, que l'inquiétude les confirme dans un bon travail, en méditant ce qui est ajouté par la voix de notre Rédempteur : «Les hommes mourront de peur dans la crainte et I'attente de ce qui surviendra dans le monde, car les puissances des cieux seront ébranlées.» Qu'est ce que le Seigneur appelle les puissances des cieux, si ce n'est les anges, les archanges, les trônes, les dominations, les principautés et les puissances qui apparaîtront alors visiblement à nos yeux à la venue du Juge rigoureux. Ils feront alors payer avec sévérité ce que notre Créateur actuellement invisible supporte de nous avec égalité d'âme. Là est ajouté : «Et alors ils verront le Fils de l'homme venir sur les nuées avec grande puissance et majesté.» Il est dit ainsi clairement qu'ils verront dans la puissance et la majesté celui qu'ils n'ont pas voulu entendre lorsqu'il se présentait avec humilité, de sorte qu'ils ressentiront alors sa puissance d'autant plus rigoureusement que maintenant leur coeur ne veut pas plier devant sa patience.
3. Les paroles précédentes ont été dites à l'adresse des réprouvés, celles qui suivent sont adressées pour la consolation des élus : «Dès que cela commencera, regardez avec attention et levez la tête, car votre rédemption est proche.» Comme si celui qui est la Vérité avertissait clairement ses disciples en disant : au moment où les malheurs du monde s'accroissent, où la terreur du jugement est montrée par l'ébranlement des puissances du ciel, levez la tête, c'est-à-dire réjouissez-vous en vos coeurs; car au moment où s'achève le monde dont vous n'êtes pas les amis, la rédemption que vous désirez est proche. En effet dans l'Écriture sainte souvent le mot tête est mis à la place du mot esprit, car comme les membres sont commandés par la tête, les pensées sont gouvernées par l'esprit. Donc lever la tête équivaut à élever l'esprit vers les joies de la patrie céleste. Ceux qui aiment Dieu sont donc invités à se réjouir et à s'égayer à la fin du monde. Il est en effet évident qu'ils vont rencontrer Celui qu'ils aiment, tandis que le monde qu'ils n'aiment pas va disparaître. Il ne faut donc pas que chaque fidèle qui désire voir Dieu, pleure à cause des malheurs qui frappent le monde, car il sait que ces malheurs mêmes amènent sa fin. Il est en effet écrit : «Celui qui aura voulu être l'ami du monde s'est fait l'énnemi de Dieu.» (Jac 4,4) Celui qui à l'approche de la fin du monde ne se réjouit pas, s'affirme ainsi comme l'ami du monde et par conséquent comme l'ennemi de Dieu. Qu'il n'en soit pas ainsi des coeurs des fidèles, de ceux qui croient à une autre vie pas la foi et qui aiment cette autre vie par la charité. Car pleurer sur la destruction du monde convient à ceux qui ont planté les racines de leur coeurs dans l'amour du monde, qui ne recherchent pas la vie future, qui doutent de son existence. Mais nous qui connaissons les joies éternelles de la patrie céleste, nous devons nous hâter le plus vite possible vers elle. Il est souhaitable pour nous de marcher vite et de parvenir à elle par le plus court chemin. En effet de quels maux le monde n'est il pas oppressé ? Quelle tristesse, quelles adversités nous angoissent ? Qu'est cette vie mortelle, sinon la voie ? Est-ce raisonnable, mes frères, examinez-le, de s'épuiser à travailler sur cette voie et cependant de ne pas vouloir que cette voie ait un terme ? Que ce monde doive être foulé aux pieds et méprisé, notre Rédempteur nous le montre par une comparaison sûre lorsqu'il ajoute aussitôt : «Voyez le figuier et tous les arbres lorsqu'ils font déjà paraître leurs fruits, vous savez que l'été est proche. Ainsi pour vous, lorsque vous verrez arriver tout cela, vous saurez que le royaume de Dieu est proche.» Ces paroles montrent que le fruit symbolique c'est la ruine du monde; en effet il grandit pour arriver à sa ruine; il pousse comme n'importe quelle plante pour disparaître dans des désastres. La comparaison du royaume de Dieu avec l'été est bonne, car alors les nuages de notre affliction seront passés et les jours éternels de la vie brilleront de la clarté du soleil.
4. Tout cela nous est réaffirmé avec une grande autorité par l'affirmation suivante : «En vérité Je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé. Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas.» Rien en effet dans la nature des choses matérielles n'est plus durable que le ciel et la terre et rien dans la réalité ne passe plus vite qu'une conversation. En effet des phrases jusqu'à leur achèvement sont incomplètes, mais lorsqu'elles sont vraiment achevées, elles n'existent déjà plus, puisqu'elles ne peuvent s'achever qu'en passant. Il dit donc : «Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas.» C'est comme s'Il disait : tout ce qui autour de vous est durable, n'est pas durable sans changement pour l'éternité; et tout ce qui chez Moi paraît passer, est en fait fixe et sans changement, parce que mon propos qui passe exprime des idées demeurant immuablement.
5. Voici mes frères que déjà nous discernons ce que nous avons entendu. Chaque jour le monde est accablé par des maux nouveaux et plus fréquents. De cette innombrable foule vous voyez combien sont encore vivants; et cependant chaque jour des châtiments nous accablent, des calamités nouvelles et imprévues nous affligent. En effet, dans la jeunesse le corps est vigoureux, la poitrine demeure robuste et saine, la nuque nerveuse et les bronches développées. Au contraire dans la vieillesse, la taille se courbe, la nuque se dessèche et s'abaisse, la poitrine est accablée de fréquents essoufflements, la force vient à manquer, la respiration difficile interrompt la parole; et même en l'absence de débilité, généralement un bon état de la santé est à charge pour les sens. Ainsi dans ses premières années le monde fut vigoureux comme on l'est dans la jeunesse, robuste pour développer la postérité de la race humaine, verdoyant par la vie physique des corps, fécond par l'opulence des choses; et maintenant il est déprimé par sa propre vieillesse et menacé par des contrariétés croissantes comme au voisinage de la mort. Craignez donc, mes frères, d'aimer ce que vous savez ne pas devoir demeurer longtemps. Mettez donc dans votre esprit les préceptes par lesquels l'apôtre Jean nous avertit en disant : «N'aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde, car si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui.» (1 Jn 2,15) Il y a trois jours, frères, vous avez appris que subitement d'anciennes plantations d'arbres avaient été arrachées par la tempête, des maisons détruites, et des églises renversées jusqu'aux fondations. Combien pensaient être sains et saufs le soir et en bonne santé le lendemain, et cependant dès cette nuit ils étaient emportés par une mort soudaine, saisis par le noeud coulant du désastre.
6. Considérons donc, très chers, que pour réaliser cela, le Juge invisible a fait souffler un vent léger, a excité la tempête d'un seul nuage et a ravagé la terre, a secoué les fondements fragiles de tant d'édifices. Que fera donc ce même Juge lorsqu'il viendra Lui-même et que sa Colère s'enflammera pour punir les pécheurs, s'il ne peut être supporté alors qu'il nous frappe au moyen d'un tout petit nuage ? En face de sa colère, quelle chair subsistera s'Il déchaîne la tempête, secoue la terre, ébranle les airs, renverse tant d'édifices ? Saint Paul, considérant cette sévérité future de notre Juge, dit : «Il est horrible de tomber aux mains du Dieu vivant.» (Heb 10,31) Le psalmiste l'exprime ainsi : «Dieu viendra ouvertement, notre Dieu, et il ne gardera pas le silence, l'incendie brûlera à sa vue et tout autour de Lui il y aura une violente tempête.» (Ps 49,3) La tempête et l'incendie accompagnent la rigueur d'une si grande justice, parce que la tempête éprouve ceux que le feu éternel doit brûler. Donc, ce fameux jour, frères très chers, mettez-le sous vos yeux et tout ce que l'on croit important actuellement devient sans valeur lors de la confrontation avec le Juge. Au sujet de ce fameux jour le prophète dit : «Il est proche le grand jour du Seigneur, trop proche et trop rapide. La voix du jour du Seigneur est amère, alors l'homme solide sera secoué. Jour de colère, fameux jour, jour de tribulations et d'angoisse, jour de calamité et de malheur, jour de ténèbres et d 'obscurité, jour de brume et de tornade, jour de trompe et de trompette.» (Sop 1,14) De ce jour là le Seigneur dit ailleurs par le prophète : «De plus Moi-même je ferai trembler non seulement la terre mais le ciel.» (Ag 2,22) Et voici que comme nous l'avons dit précédemment, il a fait trembler l'air et la terre ne résiste pas; quand le ciel sera ébranlé qui donc le supportera ? Que dirons-nous aussi des terreurs que nous voyons, si ce n'est qu'elles annoncent la colère à venir ? Par suite il est nécessaire de considérer que les tribulations actuelles sont aussi différentes des tribulations finales qu'un huissier l'est d'un juge. Méditez donc, frères très chers, sur ce fameux jour avec toute votre attention, corrigez votre vie, changez vos moeurs, surmontez en leur résistant les mauvaises tentations et expiez par vos larmes celles auxquelles vous avez succombé. Car vous verrez un jour l'arrivée du Juge éternel avec d'autant plus de tranquillité que dès maintenant vous prenez les devants en craignant sa rigueur.